La filière : une enquête historique de Philippe Sands sur les traces d’Otto Wächter, dignitaire nazi en fuite…
Mettre ses pas dans celui d’un dignitaire nazi avec suffisamment de recul et de connaissances contextuelles n’est évidemment pas donné à tout le monde… Philippe Sands a fait ici un travail remarquable : il a réuni dans ce livre son enquête avec force de détails.
On peut dire qu’il a réussi l’exploit de tout condenser (archives, témoignages, recherches…) en un seul volume dont le ton romancé ne fait pas oublier le fond de cette histoire qui s’imbrique dans la grande Histoire.
Cet avocat spécialisé dans la défense des droits de l’Homme est allé jusqu’au bout il me semble.
De fait, c’est un livre très dense, gargantuesque, détaillé, qui peut désarçonner le lecteur peu enclin à ce type d’ouvrage. D’autant qu’il fourmille d’informations historiques (très documentées), de nombreux personnages secondaires qu’il faut « remettre » à leur place.
Si la famille Wächter est au centre de l’enquête, l’auteur va s’intéresser particulièrement à la figure d’Otto Wächter, chef de famille et dignitaire nazi…
L’enquête n’aurait sans doute pas été possible sans l’implication d’Horst Wächter, un fils aveuglé par l’amour inconditionnel qu’ils portent à ses parents mais qui fournit – étonnamment – le socle de l’enquête (photos, correspondances, mémoires de Charlotte sa mère…), un fond documentaire volumineux qui va être décortiquée par Philippe Sands.
Horst ne tient pas son père pour responsable des crimes, car c’est bien de ça dont il s’agit, perpétrés en son nom et sous son autorité.
Son père n’aurait pas souhaité ça, il aurait même « sauvé » des vies, un « bon nazi » en somme… Naïveté aveugle ?
Car évidemment la réalité des faits le rattrape parfois (la réalité est sans appel : son père est un criminel de guerre !), mais qu’importe ! Il reste fidèle à ses convictions et s’il hésite parfois à rester en contact avec Sands (qui égratigne forcément le mythe du père « qui ne savait pas ») il laisse à chaque fois une porte ouverte à l’enquêteur.
Voilà qui est paradoxale…
Dans la famille Wächter, on porte forcément le poids de cet héritage d’une manière ou d’une autre.
Certains l’assument, d’autres préfèrent retoucher une réalité brutale, d’autres encore s’en affranchissent…
Au final, ce livre le fera-t-il changer d’avis ? Aura-t-il de nouvelles répercussions familiales ?
C’est une enquête aux multiples ramifications qui demande au lecteur du temps, une concentration infinie. D’autant que l’auteur jongle entre les époques (rencontres avec Horst , vie d’Otto…)
Et puis, ce livre se place également dans la tourmente de l’actualité car c’est à Lviv (Lemberg est le nom donné à la ville par les nazis) que se déroule une partie de l’histoire.
Grâce à son enquête et aux reconstitutions qu’il a pu mener sur le terrain, il a donné à voir la fuite d’Otto, sa planque en Italie et jusqu’aux derniers jours de celui-ci mais aussi un contexte historique dûment détaillé.
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Résumé
Membre convaincu du parti nazi dès 1923, aveuglément soutenu par son épouse Charlotte, Otto von Wächter a rapidement intégré l’élite hitlérienne, devenant notamment, au début de la Seconde Guerre mondiale, gouverneur de Cracovie en Pologne, puis gouverneur du district de Galicie, dans l’ouest de l’Ukraine actuelle – deux territoires qui furent le théâtre de l’extermination des Juifs. En 1945, après la défaite du Reich, il parvient à fuir, se cache dans les Alpes autrichiennes avant de rejoindre Rome et le Vatican, qui abrite l’une des principales filières d’exfiltration des nazis vers l’Amérique du Sud. C’est là qu’il trouve la mort, en 1949, dans des circonstances étranges. Comment a-t-il pu se soustraire à la justice, de quelles complicités a-t-il bénéficié ? A-t-il été réduit au silence ?
Ressources supplémentaires
Pour approfondir la lecture, je vous conseille l’écoute de la série de podcast dédiée à La filière sur France Inter ICI…
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