Magnifique livre de l’écrivain marocain Abdellah Taïa, il a été récompensé du Prix de la langue française et du Prix décembre 2024.
Direction Salé, ville fortifiée située au Maroc, où Youssef doit retourner après la mort de sa mère.
S’il est aujourd’hui professeur en France, c’est ici, dans ce lieu hors du temps, qu’il a grandi, avec, il faut bien le dire, des joies mais surtout beaucoup de difficultés car il y était victime de discrimination, de violence…
Youssef fait partie d’une grande fratrie, 3 frères et 6 sœurs, ce sont les voix de ses sœurs que nous entendons aussi dans ce livre, des voix qui chantent presque et résonnent comme une psalmodie.
Pour autant, si cela semble sur le papier un cocon chaleureux pour grandir, et si Salé est, au sens propre, un véritable bastion défensif, cela n’a en rien protégé le jeune homme de la vindicte populaire ou même de la violence familiale.
Tout commence avec une mission que se sont donnée les 6 sœurs : arpenter les rues de Salé dans le but de rembourser les éventuels créanciers de leur mère Malika. On comprend que c’est une question d’honneur et qu’il s’agit aussi d’alléger l’âme de celle qui est partie.
Avec ce premier chapitre, tout est dit : le poids des traditions, l’honneur qu’il ne faut surtout pas salir et en même temps cette fascination exercée par les 6 sœurs – Kamla, Hadda, Samira, Ilham, Ibtissam, Farida – sur Youssef, cette adoration qui efface même le mal qu’elles ont pu lui faire…
Car Youssef est gay. Revenir à Salé, c’est refaire le compte des souffrances qu’il y a subies et qu’il avait enfouies au fond de lui pour se reconstruire ailleurs tout simplement, c’est aussi évoquer ce premier amour interdit.
Ce livre est d’une puissance émotionnelle forte, Abdellah Taïa nous entraîne avec lui dans les pas de Youssef, on sent presque le souffle chaud du chergui balayer les ruelles de Salé.
C’est que l’écrivain, s’il manie les mots et la poésie, est aussi cinéaste et cela se voit aux images fortes qui s’imposent à la lecture de ce livre d’une beauté ensorcelante et vénéneuse.
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Résumé :
À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l’héritage familial. En lui, c’est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l’interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d’un colonel de l’armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s’enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l’ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. « Notre passé… notre grande fiction », médite Youssef, tandis qu’il s’apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.
Découvrir ma chronique de La Rivière de Laura Vinogradova publié aux Éditions Bleu et Jaune, roman letton traduit par Louise de Brisson, qui a reçu le Prix de la littérature de l’Union Européenne en 2021.